« Il n’y a pas de marbre en moi, pas même de l’eau, à peine du gaz ».
Est-ce la pesanteur du monde, le côtoiement de la mort, les épreuves de l’exil, ou un panthéisme tout personnel qui ont accordé à Golshifteh Farahani ce don si précieux de légèreté, cette valeur si précieuse que louait le grand romancier italien Italo Calvino dans ses « Leçons américaines » ? Enfant prodige du cinéma iranien, musicienne de talent, passionnée de théâtre, elle est révélée très jeune dans Le Poirier de Dariush Mehrjui et tourne quelque 20 films en une dizaine d’année. Il n’est pas de hasard, il est des rendez-vous : son premier grand rôle qui la fait connaitre sur la scène internationale est, en 2009, celui d’une femme qui disparaît (À propos d’Elly d’Asghar Farhadi)… Evanescence paradoxale d’une actrice qui toujours incarne, résiste et dégage aplomb, dignité et force, engageant son corps tout entier.
Refusant de se soumettre aux restrictions imposées aux femmes, elle s’exile après avoir tourné sans hijab, aux côtés de Leonardo DiCaprio, dans Mensonges d’État de Ridley Scott (2008), devenant ainsi la première actrice iranienne à jouer dans une production hollywoodienne depuis la Révolution de 1979. Un acte de liberté qui lui vaut d’être bannie de son pays natal.
Elle s’installe alors en France, et poursuit une carrière prolifique, alternant entre cinéma d’auteur et productions internationales. Dans Syngué sabour – Pierre de patience d’Atiq Rahimi (2008), sur un scénario de Jean-Claude Carrière, elle reconquiert son corps d’épouse soumise et décroche une nomination au César du meilleur espoir féminin ; en 2016, elle est Anna Karénine sur scène et impose une présence à la fois lumineuse et combative dans Paterson de Jim Jarmusch.
Un pied aux États-Unis et un pied ailleurs, chacune de ses apparitions marque les spectateurs par sa liberté et son indépendance : elle plaque tout dans son road trip américain Just Like a Woman sous la direction de Rachid Bouchareb ; elle est une institutrice en proie au monde patriarcal dans My Sweet Pepper Land d’Hiner Saleem (2013) et même combattante kurde dans Les Filles du soleil d’Eva Husson (2018) ; on la découvre aussi sorcière marine au crâne rasé dans Pirates des Caraïbes : La Vengeance de Salazar (2017) de Joachim Rønning, Espen Sandberg et femme d’action d’exception dans Extraction (2020) de Sam Hargrave. En 2020, dans Un divan à Tunis de Manele Labidi, elle se glisse dans la peau d’une psychanalyste obstinée pour manifester un talent un peu délaissé de sa palette : l’humour.
Dans la série internationale Invasion, elle endosse le rôle d’une jeune mère courage tandis que dans la récente adaptation du best-seller « Lire Lolita à Téhéran », elle exprime avec brio combien le corps des femmes a été la première victime de la Révolution iranienne de 79. Cette année, on la retrouvera en Compétition au Festival de Cannes dans Alpha de Julia Ducournau.
Golshifteh Farahani a endossé à l’écran de si nombreuses causes et de si nombreuses figures de l’audace, qu’elle est devenue un symbole et un étendard de la liberté des femmes, mais c’est corps et âme qu’elle joue sa vie chaque jour avec intensité.
Enfant travestie qui bravait la loi des mollahs à vélo pour vivre sa vie, artiste en exil, rebelle posant nue pour crier sa rage d’être enfermée, elle continue de s’engager activement dans les mouvements pour les droits des femmes en Iran, notamment lors des manifestations liées à la mort de Mahsa Amini.
C’est avec une immense fierté que le Festival de Deauville l’accueillera comme Présidente du Jury pour sa 51e édition. |