Jerry Schatzberg
Photographe, Réalisateur , ScénaristeÀ propos
Né à New York, dans le Bronx, il fréquente l’Université de Miami, puis travaille comme assistant pour Bill Helburn (1954−1956), avant de commencer une carrière de photographe indépendant. Ses photographies de mode sont publiées dans des magazines tels que « Vogue », « McCalls », « Esquire », « Glamour », « Town and Country » et « Life ». Après avoir réalisé quelques films publicitaires, il fait ses débuts de réalisateur en 1970 avec Portrait d’une enfant déchue, l’histoire d’une mannequin perturbée. Mais Jerry Schatzberg se fait surtout remarquer avec son deuxième long métrage, le captivant et finement interprété, Panique à Needle Park (1971), une sombre étude de la dépendance à l’héroïne avec Al Pacino. Ce dernier partage ensuite avec Gene Hackman l’affiche du troisième film de Jerry Schatzberg, L’Épouvantail (1973), un conte morose centré autour de deux vagabonds qui, à bien des égards, représente l’apothéose de l’aliénation et de la confusion inhérentes aux années 70. De manière significative, la critique américaine s’intéresse au cinéaste avant de le délaisser à mesure que la décennie 70 prend fin. Après la sortie de La Vie privée d’un sénateur en 1979, la mentalité des blockbusters Spielberg/Lucas se substitue aux petits films introspectifs, instaurant la nouvelle tendance à Hollywood. Mais Jerry Schatzberg n’a jamais perdu ses fidèles européens, comme en témoigne le succès international de L’Ami retrouvé en 1989. Jerry Schatzberg remporte notamment la Palme d’or au Festival de Cannes 1973 avec L’Épouvantail.
Jerry Schatzberg est l’un des principaux protagonistes de la renaissance hollywoodienne ayant marqué les critiques et les cinéphiles au début des années 70. Il n’appartient à aucun groupe, ni aux Italo-Américains (Coppola, Scorsese, De Palma, Cimino), ni aux prodiges de l’efficacité technologique (Spielberg, Lucas). En fait, il est très solitaire, comparable dans sa farouche indépendance à un Terrence Malick. Cette position ne l’aide pas à obtenir une large reconnaissance, les médias étant plus attirés par les groupes, les écoles, les clubs et leurs étiquettes si pratiques. Jerry Schatzberg est aussi très new-yorkais. Manhattan est toujours resté son port d’attache, loin du cercle d’Hollywood. Bien que très américain dans l’esprit et la culture, il est très attiré par le cinéma international et son approche stylistique se veut souvent plus audacieuse. Rien ne saurait mieux le démontrer que son premier long métrage, Portrait d’une enfant déchue, avec sa narration fracturée, sa bande originale complexe et son mélange de présent, de flashbacks et de plans fantastiques.
Le film est centré sur le monde que Jerry Schatzberg connait le mieux, la photographie de mode, et sur celle qui était alors la femme la plus proche de lui à l’époque, Faye Dunaway, qui joue le rôle principal. Basé sur un scénario complexe d’Adrian Joyce, alias Carol Eastman, il fait l’étude d’un top model qui a connu ses heures de gloire mais qui se voit progressivement boudée. L’histoire vient d’une confession que lui a faite son mannequin fétiche, Anne St. Marie. À l’époque, les critiques pensent que le choix du sujet manque d’imagination mais le film se fait le reflet de l’engagement personnel de Jerry Schatzberg et l’expression de la véritable voix de l’auteur. Ses vingt années de travail en tant que photographe se reflètent dans le flair visuel éblouissant du film, mais aussi dans le contrôle cinématographique du cadre, de la lumière et du montage qui est exceptionnel pour un débutant. Portrait d’une enfant déchue, avec son portrait d’une cover-girl en pleine dépression mentale, montre également la sensibilité de Jerry Schatzberg vis-à-vis des personnages profondément blessés. C’est également une évidence avec les toxicomanes de Panique à Needle Park et les vagabonds de L’Épouvantail. Ses films ultérieurs démontrent un large intérêt et une capacité à alterner des humeurs très différentes avec des personnages comme le voleur de voiture dans Vol à la tire, le politicien de La Vie privée d’un sénateur, les chanteurs country de Show Bus, et la prostituée et le proxénète de La Rue.
L’Ami retrouvé, écrit par Harold Pinter à partir du récit autobiographique de Fred Ulman, se déroule à Stuttgart en 1932. Il raconte l’amitié de deux garçons de seize ans : Hans, le fils d’un médecin juif, et Konradin, membre d’une famille issue de la vieille aristocratie allemande. Des années plus tard, après la guerre, Hans (Jason Robards) retourne en Allemagne. Il se remémore sa jeunesse et son vieil ami Konradin, qui l’avait trahi en entrant dans le parti nazi, pendant que lui prenait le chemin de l’exil.
À bien des égards, l’univers cinématographique de Jerry Schatzberg présente une continuité saisissante avec son travail de photographe qui débouche, on l’a vu, sur Portrait d’une enfant déchue, mais aussi son propre environnement, que l’on retrouve dans L’Épouvantail et Show Bus, et ses scènes de rue qui mènent à Panique à Needle Park et La Rue.
C’est son art du portrait qui apprend à Jerry Schatzberg à traiter avec les acteurs. Il se rend compte que la plupart des gens craignent l’objectif. Pour les détendre, il passe le plus de temps possible avec eux, non seulement pour mieux les connaître, mais pour voir au-delà de la surface et découvrir leur vrai « soi », celui caché du monde extérieur. La plupart de ses grands portraits des années 60 – Bob Dylan, Francis Ford Coppola, Andy Warhol, Arlow Guthrie, Roman Polanski, Fidel Castro, Miloš Forman, Jimi Hendrix, Frank Zappa, The Rolling Stones et bien d’autres, révèlent ces moments de vérité.
En ne donnant pas de directives précises à ses modèles photographiques, Jerry Schatzberg leur donne les moyens de trouver le bon moment. De la même manière, il amène ses acteurs à atteindre ce qu’ils renferment en leur for intérieur. À bien des égards, son style photographique est beaucoup plus proche de celui d’André Kertész ou Henri Cartier-Bresson, puis des contemporains Irving Penn ou Richard Avedon. Au lieu de l’espace autonome du cadre, il cherche l’espace au-delà. Ses photographies sont narratives ; elles racontent une histoire. En un instant, elles saisissent une action, un geste, une émotion, tout en ayant un schéma formel rigoureux qui exprime leur sens. Le style, cependant, ne se manifeste jamais avec ostentation et n’empiète jamais sur la fluidité de la vie.
Toutes ces qualités se retrouvent dans les films de Jerry Schatzberg. Au cours de sa carrière, il ne cesse de privilégier les relations humaines, ce qui rend son travail plus difficile à la fin des années 70, 80 et 90, lorsque l’industrie se consacre de plus en plus aux effets spéciaux, aux poursuites en voiture et aux comédies pour adolescents. Son œil affuté vis-à-vis des gens et des lieux a offert de l’authenticité à l’arrière-plan de ses films, alors que ses acteurs ont travaillé à créer des personnages qui vous semblent familiers. Alan Alda n’a jamais été aussi bon que dans La Vie privée d’un sénateur. Les quasi-débutants comme Stockard Channing dans Vol à la tire et Kitty Winn dans Panique à Needle Park n’ont pas retrouvé de rôles de la même dimension. Et Faye Dunaway, Al Pacino, Meryl Streep et Morgan Freeman ont été au sommet de leur forme dans ses films. Interrogé sur son interprétation préférée, Gene Hackman a déclaré dans « Film Comment » que L’Épouvantail était « le seul film que je n’ai jamais fait avec une constance absolue. On m’a permis de prendre toutes sortes de risques et de vraiment construire mon personnage ».
En plus de cinquante ans de photographie et de cinéma, Jerry Schatzberg a atteint un équilibre délicat entre une forme raffinée de mise en scène et la représentation de moments de vérité. Il possède un don particulier pour contenir les émotions, afin qu’elles se révèlent plus puissantes, et pour échapper à l’évidence en suggérant plutôt qu’en soulignant. Il nous fait ressentir, ce qui manque trop souvent au cinéma américain contemporain. C’est un artiste adulte et mature qui sait traiter des thèmes et des personnages adultes et matures.
Michel Ciment
2000 The Day the Ponies Come Back *
1995 Lumière et compagnie – doc
1989 L’Ami retrouvé
1988 Clinton and Nadine – TV
1987 La Rue
1984 Pris sur le vif
1984 Besoin d’amour
1980 Show Bus
1979 La Vie privée d’un sénateur
1976 Vol à la tire
1973 L’Épouvantail
1971 Panique à Needle Park
1970 Portrait d’une enfant déchue *
* Également scénariste
Je réserve ma place !
Rejoignez-nous pour suivre la compétition et rencontrer les talents invités du Festival !