Hommage à Kirk Douglas

(1916−2020) Comédien, écrivain, réalisateur & producteur 

Événement

« La France est ma deuxième patrie. Les gens ici m’aiment encore plus qu’aux États-Unis. »

Une fos­sette au men­ton. Un détail, mais c’est celui qui vient à l’esprit quand on pense à Kirk Dou­glas, mort le 5 février der­nier, à l’âge de 103 ans. L’acteur a beau avoir été une figure majeure du ciné­ma amé­ri­cain, l’une des der­nières stars du vieil Hol­ly­wood et l’un des arti­sans de la dis­pa­ri­tion de ce sys­tème, un pro­duc­teur auda­cieux, un écri­vain de talent et sur­tout un comé­dien d’une force et d’un cou­rage peu com­muns, c’est ce men­ton fen­du, trou­blant – « Com­ment fais-tu pour raser ça ? », lui deman­dait Kim Novak dans Liai­sons secrètes, de Richard Quine (1960) – qui surgit.

On peut aus­si le prendre comme le signe des bles­sures et des muti­la­tions qui affligent les per­son­nages que Kirk Dou­glas a inter­pré­tés au long d’une car­rière qui s’étend sur toute la seconde moi­tié du XXe siècle.

Ampu­té d’un doigt dans La Cap­tive aux yeux clairs, de Howard Hawks (1952), d’une oreille dans La Vie pas­sion­née de Vincent van Gogh, de Vin­cente Min­nel­li (1957), ébor­gné dans Les Vikings, de Richard Flei­scher (1958), cru­ci­fié dans Spar­ta­cus, de Stan­ley Kubrick (1960), broyé par un camion dans L’Arrangement, d’Elia Kazan (1969), il n’a rien du héros triom­phant à la John Wayne, figure ambi­va­lente et com­plexe plu­tôt qu’icône américaine.

Son image publique de patriarche – il est le père de l’acteur Michael Dou­glas – s’est éga­le­ment fêlée après la mort par sur­dose d’un autre de ses fils, Eric, en 2004.

En 1996, un acci­dent vas­cu­laire céré­bral qui han­di­cape sévè­re­ment son élo­cu­tion n’avait pas suf­fi à l’éloigner défi­ni­ti­ve­ment des pla­teaux. Invi­té régu­lier des plus grands fes­ti­vals de ciné­ma, Kirk Dou­glas était éga­le­ment une pré­sence récur­rente sur les rayons des librai­ries. Mémo­ria­liste et roman­cier, plu­sieurs de ses livres – dont « Le Fils du chif­fon­nier » (Presses de la Renais­sance, 1988), le pre­mier tome de ses Mémoires – ont fait de longs séjours en tête des listes de best-sel­lers. Ces der­nières années, il s’était dis­tin­gué sur la Toile avec un blog d’une spon­ta­néi­té inat­ten­due chez un nonagénaire.

D’origine juive, venue de Bié­lo­rus­sie, la famille Danie­lo­vitch s’était fixée à Amster­dam, sur l’Hudson, au nord de l’État de New York. C’est là qu’Issur naît le 9 décembre 1916, unique frère des six filles de Her­schel, un chif­fon­nier, et de Bry­na. Son enfance est presque misé­rable, et il doit mul­ti­plier les petits tra­vaux pour finan­cer ses études.

À l’adolescence, il se découvre une voca­tion d’acteur et réus­sit à s’inscrire à l’université de St Law­rence. En butte à l’antisémitisme à chaque étape de son par­cours, il devient l’une des vedettes de l’équipe de lutte, et suit bien­tôt les cours d’une école d’art dra­ma­tique de New York. Issur Danie­lo­vitch adopte le pseu­do­nyme de Kirk Dou­glas et a pour condis­ciple Bet­ty Joan Perske, la future Lau­ren Bacall. Lorsque les États-Unis entrent en guerre, le jeune homme s’engage dans la Marine et est démo­bi­li­sé pour bles­sure en 1944.

Deve­nue une star d’Hollywood, Lau­ren Bacall recom­mande son ami au pro­duc­teur de la War­ner, Hal B. Wal­lis, et Kirk Dou­glas fait ses débuts à l’écran, à 30 ans, dans L’Emprise du crime, de Lewis Miles­tone, en 1946.

Mal­gré son pou­voir de séduc­tion, Kirk Dou­glas tient d’abord des rôles anti­pa­thiques, comme celui du truand qui pour­suit Robert Mit­chum de sa ven­geance dans Pen­dez-moi haut et court (1947), de Jacques Tour­neur, des « rôles de fils de pute », dira-t-il plus tard. Mais aus­si des rôles de mâle impar­fait, comme celui du mari sou­mis de Chaînes conju­gales (1949), de Joseph L. Mankiewicz.

Bien­tôt, Kirk Dou­glas ren­contre Vin­cente Min­nel­li, son réa­li­sa­teur d’élection. En 1952, ils tournent ensemble Les Ensor­ce­lés, repré­sen­ta­tion impi­toyable et paroxys­tique de la magie noire du ciné­ma, qui cor­rompt et exalte. En 1956, c’est La Vie pas­sion­née de Vincent van Gogh« le seul rôle dans lequel j’ai failli me perdre », avoue­ra plus tard l’acteur. La vio­lence de cette inter­pré­ta­tion ne suf­fit pas à lui valoir l’Oscar 1957 du meilleur acteur qui, cette année-là, va à Yul Bryn­ner pour Le Roi et moi (Wal­ter Lang). Min­nel­li et Dou­glas se retrouvent une troi­sième fois pour Quinze jours ailleurs, en 1962.

Dou­glas a beau ne pas sacri­fier aux tech­niques de l’Actors Stu­dio que Mar­lon Bran­do et James Dean ont impo­sées à Hol­ly­wood, il s’engage à chaque fois dans ses rôles, quitte à se mettre en dan­ger psy­chi­que­ment ou phy­si­que­ment. Il finit le tour­nage de La Cap­tive aux yeux clairs (1952), le wes­tern buco­lique d’Howard Hawks, avec une pneu­mo­nie. Et c’est bien lui qui danse sur les rames d’un drak­kar en mou­ve­ment dans Les Vikings.

Ce goût du risque se tra­duit aus­si par la créa­tion de sa socié­té de pro­duc­tion, Bry­na, ain­si bap­ti­sée en l’honneur de sa mère. Cette indé­pen­dance lui per­met de mettre en chan­tier des films qui s’éloignent de l’« enter­tain­ment » hol­ly­woo­dien. Même Les Vikings, film à grand spec­tacle, dans lequel il a pour par­te­naire Tony Cur­tis, se dis­tingue par les efforts des scé­na­ristes et des déco­ra­teurs pour par­ve­nir à un sem­blant de véri­té his­to­rique. Kirk Dou­glas s’est réser­vé le rôle du bar­bare, un homme que ses appé­tits mons­trueux mènent à sa perte.

Dans la fou­lée, il engage le jeune Stan­ley Kubrick pour réa­li­ser Les Sen­tiers de la gloire, drame anti­mi­li­ta­riste situé en 1917, dans lequel il incarne un colo­nel fran­çais char­gé de défendre des sol­dats accu­sés de déser­tion. En France, face aux menaces des asso­cia­tions d’anciens com­bat­tants et aux pres­sions du Quai d’Orsay, les Artistes asso­ciés, qui dis­tri­buent le film, renoncent à deman­der un visa d’exploitation. Il fau­dra attendre l’été 1975 pour que le public fran­çais découvre Les Sen­tiers de la gloire. On est en 1957, Kirk Dou­glas, comme le montre une inter­view don­née au pré­sen­ta­teur de télé­vi­sion Mike Wal­lace, est une figure publique, appe­lée à se pro­non­cer sur les grands sujets de l’heure. Il condamne publi­que­ment le com­mu­nisme et « tout ce qui peut mettre en péril l’Ame­ri­can Way of Life ».

Trois ans plus tard, il met en chan­tier la pro­duc­tion de Spar­ta­cus, fait ren­voyer le réa­li­sa­teur Antho­ny Mann, que Stan­ley Kubrick rem­place. Outre sa place dans l’histoire du mac­car­thysme à Hol­ly­wood, Spar­ta­cus, durant le tour­nage, est aus­si l’occasion de que­relles inces­santes. L’une des vedettes de cette dis­tri­bu­tion très bri­tan­nique (on y trouve éga­le­ment Lau­rence Oli­vier, Jean Sim­mons et Peter Usti­nov), Charles Laugh­ton, qui déteste le scé­na­rio, menace Kirk Dou­glas d’un pro­cès et Stan­ley Kubrick n’adresse plus la parole à son direc­teur de la pho­to­gra­phie, Rus­sell Met­ty. L’aventure se ter­mine par une brouille entre Kirk Dou­glas et le futur réa­li­sa­teur de Doc­teur Fola­mour (1964), qua­li­fié par son pro­duc­teur et inter­prète d’« incroya­ble­ment intel­li­gent, mais si froid ». Spar­ta­cus sera d’ailleurs la der­nière pro­duc­tion majeure de la socié­té Bryna.

Le début des années 1960 est moins fruc­tueux. On le voit dans des films à grand spec­tacle, comme Paris brûle-t-il ? (1966), de René Clé­ment, dans des wes­terns aux côtés de John Wayne (La Cara­vane de feu, 1967, de Burt Ken­ne­dy) ou de Robert Mit­chum (La Route de l’Ouest, 1967, d’Andrew McLa­glen). En 1970, Kirk Dou­glas renoue une der­nière fois avec des cinéastes de pre­mier plan. Le Rep­tile (1970), de Joseph L. Man­kie­wicz, est le pre­mier wes­tern de l’auteur d’ « Eve », et oppose Kirk Dou­glas, dans le rôle d’un escroc amo­ral, à Hen­ry Fon­da, qui joue un direc­teur de pri­son. C’est aus­si l’année de L’Arrangement, de Kazan.

L’auteur de « Sur les quais » adapte son propre roman pour tirer le por­trait d’une Amé­rique à la dérive. Kirk Dou­glas attri­bue sa pres­tance et son arro­gance à un cadre supé­rieur, res­pon­sable d’une cam­pagne publi­ci­taire par­ti­cu­liè­re­ment réus­sie, qui voit sa vie se défaire après avoir suc­com­bé aux charmes d’une femme plus jeune que lui (Faye Duna­way), incar­na­tion de la nou­velle Amé­rique, sur­gie des mou­ve­ments des années 1960. Une fois de plus, Dou­glas apporte son enga­ge­ment, sa force d’expression – il n’est pas et n’a jamais été le plus nuan­cé des acteurs – à ce rôle qui est comme un bilan de car­rière. Mécon­tent de la fin qu’a rete­nue Kazan, il va jusqu’à remon­ter le film, mais c’est la ver­sion du réa­li­sa­teur qui sera distribuée.

La fin du par­cours de Kirk Dou­glas sur le grand écran s’étend sur plu­sieurs décen­nies. Il croise le che­min de Brian De Pal­ma (Furie, en 1978), renoue avec Burt Lan­cas­ter, qui avait été à quatre reprises son par­te­naire à leurs débuts, pour Coup double, de Jeff Kanew, en 1986. En 2003, Une si belle famille (Fred Sche­pi­si) lui per­met de par­ta­ger l’affiche avec son fils Michael et son petit-fils Cameron.

Ces films n’ajoutent rien à sa gloire, qui reste immense. D’abord, parce que le suc­cès de son fils Michael Dou­glas, ren­du célèbre par le feuille­ton télé­vi­sé Les Rues de San Fran­cis­co (1972−1976) et deve­nu une star avec À la pour­suite du dia­mant vert (1984), Wall Street (1987) et Liai­son fatale (1987), rejaillit sur le père. Ensuite, parce que Kirk Dou­glas est deve­nu un auteur à suc­cès. Il publie « Le Fils du chif­fon­nier », en 1988. Best-sel­ler aux États-Unis, le livre est tra­duit dans le monde entier. Dou­glas y raconte son enfance misé­rable, ses amours, ses com­bats artis­tiques et politiques.

En 1991, il échappe à la mort lors d’un acci­dent d’hélicoptère qui pro­voque chez lui un retour à la foi juive, un che­mi­ne­ment qu’il décri­ra dans d’autres livres, « En gra­vis­sant la mon­tagne » (l’Archipel, 1999) et « J’ai croi­sé la chance par acci­dent » (Michel Lafon, 2002). Il y évoque aus­si les efforts, en grande par­tie cou­ron­nés de suc­cès, qu’il a faits pour recou­vrer la parole à la suite de son attaque cérébrale.

Les Fes­ti­vals de Venise et de Ber­lin lui rendent hom­mage, il reçoit enfin un Oscar pour l’ensemble de sa car­rière, en 1996. En 2007, à l’occasion de la paru­tion d’un nou­veau livre, « Let’s Face It » (non tra­duit), il ouvre une page sur le réseau social MyS­pace puis un blog.

Tho­mas Soti­nel, cri­tique de cinéma

avec l’aimable auto­ri­sa­tion du jour­nal Le Monde

Droits de reproduction

Fil­mo­gra­phie sélec­tive Selec­ted filmography

Comé­dien Actor 

2008 Meurtres à l’Empire State – TV

2004 Illu­sion Michal A. Goorjian

2003 Une si belle famille Fred Sche­pi­si

2000 Les Anges du bon­heur  John Masius – TV

1999 Dia­monds John Asher – Deau­ville 1999

1994 Take Me Home Again Tom McLough­lin – TV

Les Héri­tiers affa­més  Jona­than Lynn

1992 The Secret Karen Arthur – TV

1991 Veraz Xavier Castano

L’Embrouille est dans le sac Oscar John Landis

1988 Tu récol­te­ras la tem­pête David Greene – TV

1986 Coup double Jeff Kanew

1985 Amos, le grand-père jus­ti­cier Michael Tuch­ner – TV

1984 Le Duel des héros  Ste­ven Hil­liard Stern – TV

1983 Un flic au trousse Eddie Macon’s Run Jeff Kanew

1982 Remem­brance of Love Jack Smight – TV

L’Homme de la rivière d’argent River George Miller

1980 Nimitz, retour vers l’enfer  Don Taylor

Saturn 3 Stan­ley Donen & John Barry

1979 Home Movies Brian De Palma

Cac­tus Jack Hal Needham

1978 Furie Brian De Palma

1977 Holo­causte 2000 Alber­to De Martino

1976 Vic­toire à Enteb­bé Mar­vin J. Chom­sky – TV

1975 Une fois ne suf­fit pas Guy Green

La Bri­gade du Texas Kirk Douglas */**

1974 Pris au piège Daniel Petrie – TV

1973 Le Tré­sor de Box Canyon Kirk Douglas *

Dr. Jekyll and Mr. Hyde David Win­ters – TV

1972 Un homme à res­pec­ter Michele Lupo

The Spe­cial Lon­don Bridge Spe­cial David Win­ters – TV

1971 Les Doigts croi­sés Dick Cle­ment

Dia­logue de feu Lamont John­son

Le Phare du bout du monde Kevin Billington **

Sum­mer­tree Antho­ny Newley **

1970 Le Rep­tile Joseph L. Mankiewicz

1969 L’Arrangement Elia Kazan

1968 Les Frères sici­liens Mar­tin Ritt **

The Legend of the Silent Night Daniel Mann – TV

Laugh-In Dig­by Wolfe – TV

Un détec­tive à la dyna­mite David Lowell Rich

1967 La Cara­vane de feu Burt Kennedy

La Route de l’Ouest Andrew V. McLaglen

1966 Paris brûle-t-il ? René Clément

L’Ombre d’un géant Mel­ville Shavelson

1965 Les Héros de Télé­mark Antho­ny Mann

Pre­mière vic­toire  Otto Preminger

1964 Sept jours en mai John Frankenheimer

1963 Trois filles à marier Michael Gordon

Le der­nier de la liste John Huston

Un homme doit mou­rir George Seaton

1962 Quinze jours ailleurs Vin­cente Minnelli

Seuls sont les indomp­tés David Mil­ler

1961 El Per­di­do Robert Aldrich

Town Without Pity Gott­fried Reinhardt

1960 Spar­ta­cus Stan­ley Kubrick **

Liai­sons secrètes Richard Quine

1959 Opé­ra­tion jupons Blake Edwards

Au fil de l’épée Guy Hamil­ton & Alexan­der Mackendrick

Le Der­nier train de Gun Hill John Sturges

1958 Les Vikings Richard Fleischer

1957 Les Sen­tiers de la gloire Stan­ley Kubrick

Règle­ment de comptes à O.K. Cor­ralCor­ral John Sturges

Top Secret Affair H.C. Potter

1956 La Vie pas­sion­née de Vincent van Gogh Vin­cente Min­nel­li & George Cukor

1955 La Rivière de nos amours André De Toth

L’Homme qui n’a pas d’étoile Man Without a Star King Vidor

Le Cercle infer­nal Hen­ry Hathaway

1954 20.000 lieues sous les mers Richard Fleischer

Ulysse  Mario Camerini

1953 Un acte d’amour Ana­tole Litvak

Le Jon­gleur Edward Dmy­tryk

His­toire de trois amours Vin­cente Min­nel­li & Gott­fried Reinhardt

1952 Les Ensor­ce­lés Vin­cente Minnelli

La Cap­tive aux yeux clairs Howard Hawks

La Val­lée des géants Felix E. Feist

1951 His­toire de détec­tive William Wyler

Le Gouffre aux chi­mères Billy Wilder

Le Désert de la peur Raoul Walsh

1950 La Ména­ge­rie de verre Irving Rapper

La Femme aux chi­mères Michael Curtiz

1949 Le Cham­pion Mark Robson

Chaînes conju­gales Joseph L. Mankiewicz

1948 Ma chère secré­taire Charles Martin

La Ville empoi­son­née John M. Stahl

1947 L’Homme aux abois Byron Haskin

La Griffe du pas­sé Jacques Tourneur

Le Deuil sied à Électre Dud­ley Nichols

1946 L’Emprise du crime Lewis Milestone

* Ega­le­ment Réalisateur

** Ega­le­ment Producteur

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